En Autriche, la justice fait la promotion des hommes

Publié le : 04/04/2018 04 avril avr. 04 2018
Source : www.lemonde.fr
 
L’histoire semble ahurissante. Dans ce pays alpin catholique de 8,7 millions d’habitants, la justice vient de considérer qu’un homme peut être victime de discrimination sexiste quand il rate une promotion au profit d’une femme. Comment une telle décision – dévoilée par la presse autrichienne le 19 mars, mais prise en février – a-t-elle pu être rendue dans un État membre de l’Union européenne depuis 1995 ?


Pour comprendre, il faut la replacer dans son contexte, car les faits sont en réalité très politisés. Ils se sont déroulés au sein d’un ministère, celui des transports, en 2011. Cette année-là, à Vienne, le portefeuille en question est occupé par une féministe sociale-démocrate (SPÖ), issue d’un milieu modeste. Elle s’appelle Doris Bures et s’efforce d’installer l’idée de la parité dans toutes les fonctions de direction, très masculines, du ministère après sept années aux mains du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), une formation d’extrême droite présente au gouvernement entre fin 1999 et début 2007. Un certain Peter Franzmayr, chef de cabinet d’un ex-garde des sceaux du FPÖ et employé au ministère des transports depuis 2003, selon le quotidien Der Standard, décide alors de candidater à l’une de ses offres de promotion. Mais le poste lui échappe au profit d’une femme aux idées plus compatibles avec celles de la ministre. Il porte plainte pour discrimination fondée sur le genre.

La technique de « l’arroseur arrosé »

Peter Franzmayr appartient, écrit le journal de centre-droit Kurier, à une corporation estudiantine élitiste, non mixte et conservatrice. Si elle peut paraître incongrue, sa démarche doit s’analyser dans un combat plus large. Elle rappelle les techniques de « l’arroseur arrosé », déjà observées ailleurs en Occident, et visant à s’emparer, afin de mieux les combattre, des outils mis en place par les libéraux pour assurer plus d’équité sociale. Elles sont désormais éprouvées en Europe par des militants opposés, par exemple, au droit à l’IVG ou à ceux des minorités sexuelles. En lien avec certains oligarques russes et les évangélistes américains, ils savent maintenant opposer juridiquement les droits des embryons à vivre à celui des femmes à recourir à l’avortement. Ou encore les droits des enfants à avoir un papa et une maman au droit des gays et des lesbiennes qui désirent en adopter un.


La « jurisprudence autrichienne » ajoute donc une pierre nouvelle à cette bataille idéologique : le tribunal a estimé que le traitement réservé à Peter Franzmayr avait été inique, sa concurrente ayant été privilégiée pendant tout le processus de recrutement, à compétences égales et avec une note très légèrement inférieure, uniquement parce qu’elle était de sexe féminin. L’État a été condamné à verser 317 368 euros au plaignant, au titre du manque à gagner et des dommages et intérêts.


De quoi remettre sérieusement « en cause le principe de promotion des femmes », selon Doris Bures, dans un pays où le sexe dit « faible » en aurait pourtant bien besoin. Selon les dernières statistiques officielles, les salariées gagnaient toujours 38 % de moins que leurs collègues en 2016. Et leur nombre à temps partiel a augmenté en dix ans, passant de 40 %, en 2006, à 48 %. Ce taux, l’un des plus élevés d’Europe, est expliqué principalement par la difficulté de combiner vie familiale et professionnelle, alors que les personnes à mi-temps voient s’effondrer leurs chances d’occuper des postes de direction. Le FPÖ, lui, jubile. À peine revenu au pouvoir, en décembre 2017, il vient d’offrir une belle opportunité à Peter Franzmayr. Ce dernier a été nommé à la tête du conseil de surveillance de l’opérateur des autoroutes. Il succède à une femme, désignée sous la gauche. Et qui a préféré jeter l’éponge.

 
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