Mars 2002 : dans un élan d’égalité entre les femmes et les hommes, Ségolène Royal, alors en charge de la famille au sein du gouvernement Jospin, fait adopter une loi qui permet au juge de fixer la résidence des enfants en alternance chez leur père et chez leur mère en cas de divorce. Bilan de cette «ouverture» ? Dans un pays où les couples se défont de plus en plus (près d’un couple sur deux se sépare en Ile-de-France, un couple sur trois ailleurs en France), 71% des enfants de parents passés devant un juge résident chez la mère, 12% chez le père et 17% sont en résidence alternée (1). Une injustice criante entre les femmes et les hommes à l’heure l’on brandit tant une nécessaire égalité ?

Pris en sandwich

Novembre 2017 : alors que près d’une dizaine de propositions de loi destinées à faire progresser la résidence (ou garde) alternée ont été retoquées ou abandonnées en cours de route, un texte porté par le député MoDem Philippe Latombe vise – à nouveau – à instaurer le principe général de résidence alternée des enfants chez chacun de leurs parents, pour mieux «traduire leur égalité», et tout cela, bien sûr, «dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant».

A peine inscrite à l’agenda de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi qui doit être débattue le 30 novembre (dans le cadre d’une niche parlementaire réservée au groupe centriste) fait déjà couiner. Parfois violemment. Et voilà le texte, examiné en commission des lois, pris en sandwich entre (pour faire simple) ceux qui veulent encore plus d’égalité dans l’égalité et certaines féministes et associations qui lancent un gros «attention danger».

C’est le cas de la Fédération nationale Solidarité femmes (FNSF), qui revendique une opposition totale à ce type de proposition. Motif ? «Cette proposition veut faire de la double domiciliation et de la résidence alternée le principe, sans aucune restriction en ce qui concerne les violences conjugales et les violences sur enfants.» Et d’ajouter : «S’appuyant sur des constats erronés et biaisés et sans aucune mention sur les réelles inégalités persistantes entre les femmes et les hommes, ce texte représente un danger pour les femmes et les enfants.» En outre, «pour les familles monoparentales (constituées à plus de 80% par des femmes), ce texte pourrait aboutir à la suppression des pensions alimentaires et au partage des allocations familiales.»

Dans un autre registre, des professionnels de l’enfance réunis au sein du «Collectif scientifique sur la résidence alternée chez les jeunes enfants» a également fait part de son opposition au texte. En clair, pas touche aux tout-petits. Même son de cloche, virulent, de la part du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a rappelé ce mardi que «la plupart des spécialistes de l’enfance conviennent aujourd’hui que ce mode d’organisation de la vie de l’enfant, tout particulièrement lorsqu’il a moins de 7 ans, est contraire à son besoin de sécurité et à la nécessité d’assurer la présence stable de sa figure d’attachement principale, le plus souvent sa mère.» Et de balancer que «l’enfant n’est pas une tâche domestique à partager». Et de voir dans ce texte «une récidive des lobbies masculinistes». Le Haut Conseil assure, en outre, que si la résidence des enfants est majoritairement fixée chez les mères, c’est parce que les pères ne la demandent pas. «Le ministère de la Justice estime que si 18,8% des pères font la demande de résidence alternée, ils l’obtiennent à 17,3%.» Bilan : l’instance demande le retrait immédiat de la proposition de loi.

«Pacifier les relations»

Dans le camp d’en face, joint par Libération, Philippe Latombe, défend son projet. «L’idée est simplement de faire en sorte que le juge aux affaires familiales examine cette solution en premier. Il ne s’agit pas de l’imposer systématiquement. Mais de sortir d’un système ou si l’un s’y oppose [la mère dans la majorité des cas, ndlr], il l’emporte. Là, chacun, la mère, le père, devra exposer ses arguments. Au juge ensuite de décider en fonction des intérêts de l’enfant. Je pense que le fait que le juge doive motiver sa décision devrait aider les parents à accepter l’arrangement retenu. Et qui sait, peut-être à pacifier les relations.» Voilà pour l’esprit.

Dans le détail, le député MoDem, soutenu par son groupe, n’entend pas promouvoir une résidence alternée obligatoirement et totalement égalitaire : une modulation du nombre de jours chez l’un ou l’autre des parents et des dépenses attribuées à chacun est à définir au cas par cas. C’est d’ailleurs bien ce qui fait gronder le Conseil international sur la résidence alternée (Cira), réunion de chercheurs, de spécialistes exerçant des professions familiales… qui prône, lui, une garde alternée à 100% égalitaire et épingle là une «faiblesse de la loi».

La défense a ses arguments : «Une telle mesure n’est envisageable que si la société est prête et déjà très engagée dans l’égalité entre les femmes et les autres, comme dans les pays nordiques.» Mais quid de la crainte de se retrouver avec des pères violents chargés eux aussi de la garde de leur enfant ? «Evidemment que le juge aux affaires familiales ne confiera pas un enfant à un père condamné ou soupçonné de violences. Toute la jurisprudence en la matière s’appliquera. Et puis je signale que la Belgique, qui a inscrit voilà onze ans un texte similaire à celui que je propose dans son code civil, n’a pas connu une hausse des violences sur les enfants, ni repéré d’effets délétères.»

Macron favorable

En outre, un amendement du groupe LREM, examiné lundi en commission des lois, devrait réaffirmer qu’«à titre exceptionnel, le juge peut fixer la résidence de l’enfant au domicile de l’un des parents». Bien. Mais cette proposition de loi a-t-elle une chance d’être votée ? «Dès que l’on touche à la famille et aux enfants, et plus particulièrement au lien mère-enfant, la sensibilité est à fleur de peau. Mais j’ai vraiment confiance sur l’issue du scrutin le 30 novembre prochain.» 

Il est vrai que pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait déjà préparé le terrain, en déclarant que la «résidence alternée comme première option proposée aux couples qui divorcent semble une proposition de bon sens étant donné les conséquences positives pour l’enfant». Il avait en outre plaidé, «en cas de décision contraire du juge», pour «une forme d’obligation de nouvel examen six mois après le refus».

(1) Etude du ministère de la Justice de 2013. L’Insee évoque, lui, 75% de femmes ayant la garde de l’enfant.

Catherine Mallaval