Conciliateur : un auxiliaire de justice en voie de développement

Publié le : 06/12/2018 06 décembre déc. 12 2018
Source : www.dalloz-actualite.fr
Les conciliateurs de justice sont chargés de rechercher gratuitement un terrain d’entente en cas de différend. Leur formation, jusqu’ici facultative, deviendra obligatoire pour tous à partir du 1er janvier 2019. Elle sera dispensée par l’École nationale de magistrature. 

par Thomas Coustet
le 19 novembre 2018
 
Les justiciables sont de plus en plus priés de tenter de régler leurs conflits à l’amiable avant de saisir un juge. Depuis l’entrée en vigueur, le 18 novembre 2016, de la loi de modernisation de la justice du 21e siècle, ceux qui ont un litige dont le montant ne dépasse pas 4 000 € doivent passer par un tiers chargé de les concilier. Sinon, les juges peuvent considérer leur demande comme irrecevable. Le projet de programmation 2018-2022 pour la justice, en séance publique à l’Assemblée nationale dès le 19 novembre prochain, étend ce préalable aux demandes inférieures à 5 000 € et aux conflits de voisinage (v. Dalloz actualité, interview de Nicole Belloubet, 15 nov. 2018, par M. Babonneau et T. Coustet).

Devant cette injonction, les justiciables ont le choix : recourir aux services – payants – d’un médiateur ; demander à un avocat d’engager une procédure participative, tout aussi payante ; ou saisir un conciliateur. Ces derniers sont les seuls à agir bénévolement et à détenir le titre d’auxiliaires de justice, au même titre que les avocats ou les huissiers.

Une justice qui fonctionne bien

Le conciliateur est apparu dans le paysage judiciaire en 1976 avec la substitution par le juge d’instance du juge de paix. À l’époque, il s’agissait d’une expérimentation mise en place dans deux départements. Au 21 juin 2018, ils sont 2 141 et seront, selon les prévisions du ministère, 2 520 en 2019.
Cet auxiliaire de justice peut être saisi par les justiciables avant l’intervention d’un juge. On parle alors de « conciliation conventionnelle ». Dans cette hypothèse, le conciliateur est compétent quel que soit le montant, sauf en matière d’état des personnes, d’ordre public, ou pour les questions administratives.

En parallèle, il existe aussi la conciliation « judiciaire » ou « déléguée ». Ici, le juge, saisi ab initio d’un litige, ordonne aux parties de se rapprocher d’un conciliateur. Cette procédure n’est possible que devant le tribunal d’instance, tribunal paritaire des baux ruraux et le tribunal de commerce. Devant le tribunal de grande instance, le juge ne peut déléguer sa conciliation. Il peut seulement « inviter » les parties à se rapprocher (C. pr. civ., art. 127). Si les parties refusent, le magistrat ne peut s’y opposer (v. Dalloz actualité, 13 déc. 2017, art. T. Coustet). 

La voie conventionnelle représente la part principale de l’activité du conciliateur

Contrairement à une idée reçue, « la voie conventionnelle » ne s’inscrit pas à la marge. Loin de là. Elle représente même « l’activité principale du conciliateur », confie Stéphane Nafir-Gouillon, magistrat en charge de la formation de conciliateurs à l’École nationale de la magistrature (ENM). « Je connais des conciliateurs qui n’ont jamais été saisis par un juge », révèle-t-il. 

Pourquoi ? D’abord, parce que c’est « ultra simple », avance le magistrat, de saisir un conciliateur. « Il peut être saisi de n’importe quelle manière, y compris sur internet ». Le site conciliateurs.fr, même s’il n’est pas rapatrié sur le site du service public, fonctionne très bien. Effectivement, il enregistre environ 3 200 saisines par an. Ensuite, parce que, pour tous ces litiges qui donnent compétence au conciliateur, les parties sont en relation contractuelle pour longtemps. « Ils doivent continuer à s’entendre sur le long terme, d’où cette préférence. La raison l’emporte », analyse-t-il. 

Obligation de se former dès l’année prochaine

Devant un tel succès, le décret du 29 octobre 2018 (v. Dalloz actualité, 7 nov. 2018, art. T. Coustet) rend obligatoire « la formation initiale et continue des conciliateurs ». C’est l’ENM qui aura la charge de déployer cet enseignement sur tout le territoire à partir du 1er janvier. Concrètement, il s’agit d’une journée de formation assurée « dans l’année de la nomination », dispose le texte. Une seconde journée devient obligatoire dans les trois années qui suivent. 

En vérité, l’École offre déjà des formations prises en charge depuis dix ans, mais à titre facultatif. Les conciliateurs peuvent, en effet, se former ailleurs auprès des organismes professionnels du métier. Toutefois, la formation ENM accueille déjà un public d’environ « 1 000 conciliateurs de justice », évalue Stéphane Nafir-Gouillon. « Pour un public non captif, c’est déjà très bien ! ».

La pédagogie y est concentrée sur des groupes de vingt conciliateurs maximum. Six modules sont actuellement proposés. « Cela correspond aux contentieux qu’ils rencontrent au quotidien », insiste le magistrat. Un premier module initie à la fonction, un autre est dédié aux baux d’habitation, deux modules en matière de consommation et enfin deux derniers modules « autour de la propriété ». Un autre autour du contrat de travail est en réflexion.  Deux formateurs sont chargés d’animer la journée : des conciliateurs en exercice. « On y tient énormément. C’est un critère de recrutement des formateurs », insiste Stéphane Nafir-Gouillon. 

Le module d’initiation a été « réécrit en 2018 ». Il a pour finalité d’accompagner le conciliateur dans sa nouvelle fonction. Un moment d’aiguillage pour tous les nouveaux auxiliaires de justice.

Une journée pour s’initier au métier

9h30. Ce lundi, à l’antenne parisienne de l’ENM, quinze participants sont venus suivre le module d’initiation. « Pour saisir, le temps d’une journée, les rudiments du métier », confie un participant. Il faut dire que tous ne sont pas juristes à la base. Les participants, à la retraite, exerçaient la fonction de sous-préfet, juge consulaire, directrice des ressources humaines, enseignant, commissaire au compte, journaliste, cadre bancaire, fonctionnaire, ou encore avocat. L’ancien cadre dans la fonction publique avoue que sa reconversion a pour but de « ne pas perdre le contact avec les gens pendant sa retraite ». Pas nécessairement pour ne faire « que du droit », lâche-t-il. 

D’ailleurs, la conformité au code civil n’est pas exigée si les parties sont d’accord. « Si un justiciable accepte plus ou moins par rapport à ce que dit le code, peu importe », insiste le formateur. C’est le premier enseignement dispensé ce lundi. Il faut surtout apprendre à borner ses compétences. « Vous pouvez travailler sur tous les types de contentieux à l’exception de l’ordre public, l’état des personnes et en cas de litiges avec l’administration », insiste un des deux formateurs. À l’exclusion de ces « domaines réservés », les points de convergence peuvent porter sur « à peu près tout ».
— « On va vous apprendre la règle ici. L’idée c’est de toujours pouvoir y revenir », ménage le formateur.
— « Peut-on refuser une conciliation ? », interrompt l’un des participants.
— « Oui, vous pouvez tout à fait décliner votre saisine si vous n’êtes pas compétent. L’idée est de ne jamais laisser le justiciable livré à lui-même. Vous pouvez donc l’orienter vers un professionnel type avocat, ou vers un point d’accès au droit », répond le formateur. « La saisine directe correspond à 90 % de votre travail, et environ 10 % en délégué », reprend-il.
— « Dans les deux cas, l’autorité de tutelle, c’est le juge d’instance », avance le binôme. À noter qu’avec le projet de loi et la disparition du juge d’instance, le référent sera vraisemblablement le futur juge du contentieux de la protection. »

« Quelle est la différence entre le conciliateur et le médiateur ? »

Vient ensuite le point sur le « statut du conciliateur », avec une question : « quelle est la différence entre le conciliateur et le médiateur ? » L’auditoire s’interroge mais ne formule aucune réponse. Le code de procédure civile leur attribue le même champ de compétences, si bien que la différence est parfois ténue. Mais le binôme de formation insiste sur un point : « Le médiateur est rémunéré. Il figure sur une liste tenue par chaque cour d’appel du ressort. C’est comme un expert judiciaire, sans formation obligatoire, sauf pour les médiateurs familiaux et pénaux. Il n’est pas auxiliaire de justice, comme vous pouvez l’être ». 
— « C’est comme le site litige.fr, par exemple ? », rebondit une conciliatrice. 
Les autres participants ne réagissent pas. La question, comme l’absence de réponse, en dit beaucoup sur l’état de confusion qui règne autour de tous ces dispositifs. Le portail litige.fr n’agit ni comme conciliateur ni comme médiateur. S’il contribue aussi au mouvement global de déjudiciarisation, il ne cherche pas à pacifier les relations entre les parties. La cour d’appel de Paris vient d’ailleurs de rappeler que le site, rémunéré par l’une des parties, permet seulement à son client, grâce à une bibliothèque documentaire, d’éditer une mise en demeure qu’il envoie ensuite numériquement à son contradicteur (v. Paris, 6 nov. 2018, n° 17/04957, Dalloz actualité, 13 nov. 2018, art. T. Coustet). 
— « Il faut s’attendre à en voir de plus en plus, les avocats se mettent à la médiation aussi », lâche, sceptique, un autre participant.
— « Un litige est apparu un jour entre un médiateur et les parties sur la rémunération. Vous savez ce qu’a fait le médiateur ? », demande le formateur.
— « Eh bien, il m’a saisi comme conciliateur », conclut-il, cherchant à se montrer rassurant.

« Le juge du tribunal d’instance écarte l’irrecevabilité au vu de l’absence de conciliateur de justice »

Aussi ironique soit-elle, l’anecdote présente néanmoins un enseignement. Le conciliateur est certes « concurrencé » de tous les côtés, il n’en reste pas moins un des rouages de la justice bel et bien nécessaire dans le maillage actuel. Pourtant, la répartition n’est pas identique sur tout le territoire. « Dans certains départements, comme le Var, les conciliateurs sont à peu près trente. Dans d’autres, comme la Corrèze ou Lozère, on en compte deux au mieux. Très fréquemment le juge du tribunal d’instance écarte l’irrecevabilité au vu de l’absence de conciliateur de justice », confie le binôme du formateur. Une problématique bien réelle à laquelle la garde des Sceaux assure réfléchir pour améliorer le déploiement (v. Dalloz actualité, interview de Nicole Belloubet, 15 nov. 2018, préc.).

Le reste de la journée sera consacré à l’étude des obligations déontologiques, des compétences sociales et professionnelles, des règles de rédaction, des conditions et du processus de l’homologation, avec en point d’orgue la rédaction d’un procès-verbal de conciliation. 

Un parcours de conciliation, en forme de schéma en dix étapes, a été édité par l’équipe pédagogique. Il commence par la « rencontre avec le demandeur » et se termine idéalement par « l’homologation de l’accord », en passant par l’impératif de cerner « les raisons profondes du conflit » (étape 6), la « reconnaissance de la réalité de l’autre » (étape 7), « la création d’une solution » (étape 8), pour aboutir au choix d’une solution (étape 9), et enfin à l’accord – total ou partiel (étape 10). 

Les « principes de base » de la communication y sont gravés. « Ne jamais dire que ce que dit l’autre est faux. Lui faire exprimer son cadre de référence fera avancer vers la conciliation ». On peut y lire aussi qu’il faut « toujours se poser la question de savoir si l’on a bien entendu ou vu juste en faisant expliciter ou redire avec d’autres mots ce qu’on croit avoir compris, ou prendre le temps de reformuler ». Par exemple, commencer par dire « si j’ai bien compris, vous dites que […] », et proscrire « toute forme de jugement, de solution plaquée, de rappel à la loi, de ce qu’il faut faire, etc. ». Autant de préceptes qui « s’apprennent » et qui « font partie des compétences professionnelles du conciliateur », est-il écrit en gras. 

Et ça marche. Les chiffres-clés 2018 de la justice affichent en bonne page un taux de « 51,2 % d’affaires conciliées pour 136 849 saisines confondues en 2018 ». Reste à voir à combien ce chiffre grimpera demain avec l’extension programmée de l’amiable, et à l’échelle des quelque deux millions de décisions civiles rendues chaque année.
 
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